Les voeux de Célestin
La technique de travail traditionnelle est tout
entière basée sur la leçon faite par le maître, étudiée ensuite dans le manuel,
avec la plupart du temps des résumés appris par cœur et des devoirs
d'application.
C'est une méthode de travail. Elle a aujourd'hui fait
ses preuves. On connaît les quelques avantages qu'elle présente : avec un
minimum d'initiative et de don de soi, mécaniquement, en suivant les manuels,
n'importe quel instituteur peut l'administrer, même sans faire le long
apprentissage de l'Ecole Normale.
Mais on a toujours hésité à en divulguer les
inconvénients et les dangers parce que critiquer ce que l'on ne peut ou ne sait
remplacer, c'est dénigrer et que dénigrer est toujours une position difficile
et dangereuse.
Nous qui savons où nous allons, nous pouvons nous
payer l'audace de dire que la technique traditionnelle des devoirs et des
leçons, que nous critiquerons en détail dans une autre opuscule, présente,
parmi tant d'autres tares, celle de n'avoir qu'une efficience
extraordinairement réduite.
L'instituteur fait une leçon, la plupart du temps sans
conviction ni chaleur, car il n'y a rien qui use plus et qui déforme comme de
pontifier sans cesse. Il est prouvé aujourd'hui que, à de très rares exceptions
près, et sur quelques sujets seulement, l'enfant écoute rarement avec tout son
être. La passivité n'est pas son fait. Il se donne à l'éducateur tout juste
assez pour éviter la punition ou l'échec à l'examen pendant que le meilleur de
son être continue à suivre la ligne vitale de ses intérêts profonds et de ses
besoins.
Avant même que la psychologie ait dévoilé ce
dédoublement mortel pour l'école, les pédagogues avaient senti l'insuffisance
des leçons doctorales puisqu'ils avaient vu la nécessité de les doubler et de
les prolonger par l'étude sur le manuel de cette même leçon. Rabâchage plus
fastidieux encore et qui ne donnait quelque rendement que si on en contrôlait
scrupuleusement l'exécution par les résumés à apprendre par cœur et les
innombrables devoirs d'application.
On peut tricher quand le maître parle ou quand on lit
la leçon. Mais un résumé est su ou n'est pas su ; un devoir est fait juste ou
faux... Terrible obligation qui empoisonne la vie des écoliers, de ceux
surtout, et ils sont l'immense masse, à qui coûte exagérément l'effort de
mémoire et de compréhension qui leur est ainsi demandé.
Et c'est ce travail anormal et excédant qui use les générations d'écoliers, les dégoûte du travail et, parfois, hélas ! les fait haïr l'école. Devoirs et leçons sont aussi à la base de tout le système de coercition imaginé par les règlements ou les pédagogues. Il est impossible de travailler avec les enfants dans l'atmosphère de confiance et de collaboration indispensable à toute œuvre d'éducation quand tout au long du jour le maître, livre en mains (car il n'a pas besoin, lui, de savoir par cœur, et ce n'est pas là la moins criante des injustices), contrôle leçons et devoirs. Les punitions sont le complément nécessaire de cette méthode de travail. Ah ! si nous pouvions supprimer dans nos classes toutes les leçons faites ex-cathédra par l'éducateur ; si nous pouvions supprimer toutes les leçons à apprendre, tous les devoirs à faire ! Comme l'école paraîtrait alors, aux enfants et aux adultes, lumineuse et claire ; comme on y travaillerait avec joie, sans aucune hypocrisie, comme la collaboration y serait agréable et combien changerait le rôle de l'éducateur qui vivrait enfin, au milieu d'enfants vivants, au sein de la vraie vie !
Célestin Freinet, Grammaire française en quatre pages, BENP n°2, Octobre 1937