La tyrannie des croulants...
Il est légitime de se poser la question de savoir s'il faut travailler
plus longtemps en relation avec l'espérance de vie, et je suis
évidemment pour défendre les retraites. Mais c'est un problème de long
terme, alors que nous vivons une crise majeure de court terme. Un
économiste venu de Mars ne comprendrait pas que la planète France
débatte de la manière d'augmenter la durée du travail dans l'avenir pour
des personnes ayant déjà un certain âge, alors qu'on ne parvient pas à
donner aujourd'hui du travail aux jeunes. En termes d'économie
immédiate, la question des retraites n'a aucun sens. Le gouvernement
veut donner l'impression qu'il affronte la réalité, la vérité est qu'il
fuit la réalité.
Nos sociétés développées sont globalement très riches, très éduquées et
âgées. L'âge médian (qui partage la population en deux moitiés) est
d'environ 40 ans en France, de 44 ans en Allemagne et au Japon. Si vous
enlevez tous les enfants et adolescents qui n'ont pas le droit de vote,
vous obtenez un âge médian pour l'électorat qui est encore beaucoup plus
élevé… Je précise aussitôt qu'avec mes 59 ans, je fais partie de la
masse centrale de ces « croulants ». Nos sociétés ont donc des
préoccupations de gens âgés, qui approchent de la retraite.
Le vrai problème de la France, c'est la disparition de notre industrie,
les délocalisations d'entreprises, la stagnation du niveau de vie. A
terme, si nous ne faisons rien, notre société est menacée
d'appauvrissement, ce qui remettrait complètement en question toutes les
décisions qu'on prépare sur les retraites. Dans ce décalage temporel,
ce qui me choque le plus, c'est la place épouvantable qui est faite aux
jeunes : ils ont en général un niveau d'études beaucoup plus élevé que
les générations précédentes, et ils sont maltraités en termes d'emploi
et de salaire. Or je suis désolé d'être obligé de le rappeler : l'avenir
d'une société, ce sont ses jeunes, pas ses vieux !
Emmanuel Todd à lire ici, Le débat n'a aucun sens