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Le guetteur mélancolique
Le guetteur mélancolique
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14 mai 2009

Chronique des longues actualités

chronique_de_la_montagneL'actualité existe-t-elle ? Elle est du jour et elle meurt à peine née. Sa nature est d'être éphémère. Son caractère est de passer vite. Son essence est d'être inactuelle dans la minute même qui la suit. Rien de plus arbitraire également : elle est composée de faits triés par les journaux. Sans eux elle n'existerait pas.  Et les journaux ne peuvent rendre compte, pour cent raisons, que d'une partie infinitésimale de tout ce qui arrive : ils ont laissé passer (quel oubli !) la naissance de Napoléon. L'actualité la plus répandue est celle dont ils parlent le moins : le solstice, la neige, la Saint-Sylvestre, les saisons, la première fleur, la dernière feuille. Où est le journal qui parle de l'aube ? L'aube, suprême curiosité de l'homme. Car, cela ils l'ont bien compris (la Bible aussi, relisez la Genèse, relisez l'histoire du pommier), l'homme vit surtout de curiosité. C'est le dernier vice qui lui reste. Toutes ses curiosités blasées, il garde celle de son décor. Il a vu le jour. Il ne cesse de vouloir le revoir. Au bout du compte l'homme de la grande actualité, ce n'est peut-être pas le journaliste, mais le poète. Son actualité ne se fane pas. [...]
On voit par là que l'actualité est surtout faite du songe des hommes. Ils durent peu mais le songe leur survit. Leurs songes les enterrent un par un. L'actualité se compose de morts plus que de vivants (vous n'avez qu'à lire les journaux, vous n'avez qu'à voir les cimetières) Il y a peu d'hommes vivants par rapport aux défunts, la plupart des hommes sont sous la terre. La plus sûre actualité de l'homme est cette immense nuit souterraine où il voisine inexorablement avec la taupe et le rêve du cosmos. Même quand le soleil, perçant la brume, vient faire briller au pied d'un vieux rosier, dans les petits cimetières montagnards, comme les paillettes d'une carte de Noël, le givre de la tombe étroite où il ensevelit ses songes. Sans appel, sans recours, sans pitié ; je ne dis pas sans espérance. Au fond de la terre agité d'insomnie par le lent mouvement des étoiles.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

Alexandre Vialatte, le 11 décembre 1962

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