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Le guetteur mélancolique
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18 juin 2008

Quelques thèses concernant la lutte antisystème

marcos_passe_montagne

«Le problème, avec la réalité, c’est qu’elle n’entend rien à la théorie.»

[Pour Blanche qui veut changer le monde, petite contribution personnelle - con permiso del sub Marcos - à sa formation théorique.]




I En haut, penser le blanc.
La géographie et le calendrier de la théorie.

Il y a plus de deux ans maintenant, dans ces mêmes montagnes du Sud-Est mexicain, lors d’une des réunions préparatoires de ce qui allait s’appeler par la suite « l’Autre Campagne », une jeune femme avait lancé quelque chose du style « Si votre révolution ne sait pas danser, ne m’invitez pas à votre révolution ! ». Plus tard, mais cette fois dans les montagnes du Nord-Est mexicain, j’ai à nouveau entendu les mêmes paroles, de la bouche d’un chef indigène qui se bat pour préserver les danses et la culture de nos ancêtres.

À l’écoute de ces mêmes mots, prononcés en deux moments distincts, je me suis retourné vers une des commandantes, à qui j’ai glissé : « Ça, c’est pour vous, jeune femme. » Sans lâcher des yeux la concurrence, mais à voix basse, la commandante en question m’a répondu : « Eeeh, Sup, parole, qu’ils me cèdent la piste et je leur laisse le terrain plat comme une dalle ! »

Je ne vais pas vous débiter des menteries. J’avais d’abord pensé vous conter des histoires d’Ombre Le Guerrier, d’Elías Contreras et de La Magdalena, des femmes zapatistes ou des petites filles et des petits garçons qui grandissent dans une réalité différente (attention : ni meilleure ni pire, juste différente) que celle qu’ont connue leurs parents, placée sous le signe d’une Autre Résistance, et même vous raconter le conte de la petite fille appelée « Décembre », qui, comme son nom l’indique, est née en novembre. Enfin, j’avais aussi pensé vous faire écouter des chansons (sans vouloir offenser personne), mais on connaît le sérieux avec lequel les zapatistes abordent les questions théoriques, aussi vais-je me contenter de vous dire qu’il faudrait trouver une manière de relier la théorie à l’amour, à la musique et à la danse. Une telle théorie ne parviendrait peut-être pas à expliquer quoi que soit qui en vaille la peine, mais elle serait certainement plus humaine, et de toute façon le sérieux et l’encroûtement ne garantissent en rien la rigueur scientifique. [...]

Les anciens parmi nos anciens racontent que les tout premiers parmi les dieux, ceux qui créèrent le monde, étaient au nombre de sept ; et que sept sont les couleurs : le blanc, le jaune, le rouge, le vert, le bleu, la couleur café et le noir ; et que sept sont les points cardinaux : l’en haut et l’en bas, le devant et l’arrière, un côté et l’autre côté, et le centre ; et que sept sont aussi les sens : le sens olfactif, le goût, le toucher, la vue, l’ouïe, le penser et le sentir.

Au nombre de sept seront donc les brins de cette longue tresse, toujours inachevée, de la pensée zapatiste.

Ainsi, parlons de la Géographie et du Calendrier de la Théorie. Pour ce faire, pensons la couleur blanche de l’en haut. [...]

QUELQUES THÈSES CONCERNANT LA LUTTE ANTISYSTÈME

Un. On ne peut comprendre ou expliquer le système capitaliste sans le concept de guerre. La survie aussi bien que la croissance de ce système dépendent avant toute chose de la guerre et de tout ce qui y est lié et qu’elle implique. Par la guerre et dans la guerre, le capitalisme dépossède, exploite, réprime et opère une ségrégation. Dans l’étape que nous connaissons de mondialisation néolibérale, le capitalisme fait la guerre à l’ensemble de l’humanité.

Deux. Pour augmenter leurs profits, les capitalistes ne se limitent pas à réduire les coûts de production ou à augmenter le prix de vente des marchandises. C’est vrai, mais cela reste incomplet. Ils procèdent au moins de trois autres manières différentes : l’une est l’augmentation de la productivité, une autre est la production de nouvelles marchandises et une autre encore est l’ouverture de nouveaux marchés.

Trois. La production de nouvelles marchandises et l’ouverture de nouveaux marchés se font aujourd’hui grâce à la conquête et à la reconquête d’un espace social et de territoires qui ne présentaient auparavant aucun intérêt pour le capital. Connaissances ancestrales et codes génétiques, auxquels s’ajoutent les ressources naturelles telles que l’eau, les forêts et l’air, sont désormais des marchandises ayant déjà leurs marchés ou dont les marchés restent à créer. Les gens qui se trouvent dans ces espaces et territoires comprenant l’une ou l’autre de ces marchandises sont, qu’ils le veuillent ou non, des ennemis du capital.

Quatre. Le destin inéluctable du capitalisme n’est pas son autodestruction, à moins que celle-ci n’inclue le monde entier. Les différents scénarios apocalyptiques annonçant que ce système s’écroulera de lui-même font erreur. Nous les indigènes, cela fait plusieurs siècles que nous entendons des prophéties allant dans ce sens.

Cinq. La destruction du système capitaliste aura lieu uniquement si un ou de nombreux mouvements s’y affrontent et parviennent à le vaincre dans son noyau central, à savoir dans la propriété privée des moyens de production et d’échange.

Six. Les transformations réelles d’une société, c’est-à-dire le bouleversement des relations sociales dans un moment historique, comme le dit bien Wallerstein dans certains de ses textes, sont celles qui s’opposent à l’ensemble d’un système. Actuellement, tout changement partiel ou toutes réformes sont impossibles. En revanche, les mouvements antisystème sont possibles et nécessaires.

Sept. Les grandes transformations ne commencent pas d’en haut et ne sont pas non plus le résultat de faits de proportions colossales ou épiques, mais par de petits mouvements quant à leur forme qui semblent dénués de toute importance aux yeux de l’homme politique et de l’analyste d’en haut. L’histoire ne se transforme pas à partir de places noires de monde ou de foules indignées mais, comme l’indique Carlos Aguirre Rojas, à partir de la conscience organisée de groupes et de collectifs qui se connaissent et se reconnaissent mutuellement, en bas et à gauche, et construisent une autre politique.

Sous-commandant insurgé Marcos.
San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, Mexique.
Décembre 2007.

Traduit par Ángel Caído.
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