Chomsky à Paris
Une tribune plutôt drôle de Jean-Jacques Rosat en réponse à un papier sur la venue de Chomsky à Paris écrit par un journaliste du Monde.
Il était une fois un
journaliste au Monde des Livres qui n’aimait pas les sandwiches.
Ce matin-là, il était venu
passer un moment au Collège de France : s’y tenait toute la journée un
colloque de philosophie sur « Rationalité, Vérité et Démocratie », en
clôture duquel Noam Chomsky devait prendre la parole. Prévoyant que l’affluence
du public déborderait largement les 420 places du grand amphithéâtre, surtout
l’après-midi, les organisateurs avaient pris des dispositions exceptionnelles.
Pour que tous ceux qui ne pourraient pas entrer puissent néanmoins vivre
l’événement, ils avaient annoncé – sur le programme et par communiqué de presse
– que la vidéo intégrale du colloque, avec traduction simultanée, serait accessible
en direct sur le site web du Collège de France : des centaines
d’internautes ont ainsi pu suivre le colloque en temps réel depuis chez eux. Et
pour que tous ceux qui étaient arrivés dès le matin ne risquent pas de voir
leur place prise par de nouveaux arrivants à la faveur de la pause de midi, les
organisateurs avaient décidé d’offrir à tous sandwiches et bouteilles d’eau. Le
soleil se mit de la partie et, sur les pavés de la cour d’honneur du Collège de
France, s’organisa à l’heure du déjeuner un grand et joyeux pique-nique. On
imagine les effets qu’un journaliste curieux et un peu espiègle eût pu tirer
d’un pareil tableau : « la statue de Champollion n’en revient
pas », « le gai savoir au Collège de France », « vérité, démocratie,
sandwiches », …
Mais notre journaliste au Monde
des Livres s’était éclipsé bien avant. Non qu’il ait trouvé désagréable
l’atmosphère du bout de matinée auquel il avait assisté : « les
débats étaient riches, reconnaît-il, et l’ambiance bon enfant ». Simplement, il n’aimait pas les sandwiches.
Malheureusement pour lui,
quand il voulut revenir dans l’après-midi, l’amphithéâtre était déjà plein et
quelques auditeurs étaient même debout. Notre journaliste trouva donc les
grilles du Collège de France fermées. À cet instant, la panique s’empara de
lui : allait-il devoir avouer à son rédacteur-en-chef qu’il avait raté l’événement
du jour – l’intervention de Noam Chomsky – parce qu’il n’aimait pas les
sandwiches ? C’est alors qu’il raisonna en journaliste avisé :
« Je ne peux plus couvrir cet événement ? La belle affaire !
C’est moi seul, journaliste, qui fabrique l’événement. Je peux en inventer un
autre très facilement : il y a là devant le portail quelques dizaines de
malchanceux, arrivés trop tard comme moi. Le voilà mon événement : le
Collège de France ferme ses grilles pour empêcher le public de venir écouter un
penseur anarchiste ! “Un
colloque cadenassé” :
c’est bien plus journalistique (lisez : excitant) qu’un colloque
universitaire, ennuyeux par définition ! » Et notre distingué
journaliste du Monde des Livres d’entreprendre un micro-trottoir des
mécontents – comme sur TF1 les jours de grève à la gare Saint-Lazare.
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