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Le guetteur mélancolique
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13 février 2009

Pour Mamá Corral (Contes pour remplacer les piqûres)

Marcos_by_AugustoMoraTôt le matin, la nouvelle arriva sans crier gare.

La nuit froide se fit encore plus froide et, à l’aube, nous nous découvrîmes comme avec un creux, c’était comme si quelque chose nous manquait, comme si nous avions perdu quelque chose de nous-mêmes.

L’aire géographique où il nous faut lutter, nous autres zapatistes, est très vaste. Sur les cartes elle porte le nom de « Mexique » et en parcourir tous les recoins est une tâche encore plus ample.

À la Sixième étape, nous arrivâmes à l’un de ses recoins les plus étranges, car malgré ce que la carte et le kilométrage parcouru indiquaient, l’histoire, ce réseau complexe de dates et de géographies, signalait quant à elle l’un de nos cœurs meurtris : Ciudad Juárez, Chihuahua.

Ciudad Juárez. Celle des jeunes ouvrières impunément assassinées. Assassinées parce qu’elles sont femmes, parce qu’elles sont jeunes, parce qu’elles sont travailleuses... Parce qu’elles sont. Celle de la digne rage des habitants de Lomas de Poleo, résistant aux attaques, aux pièges, aux calomnies, aux silences.

Celle de Mamá Corral.

Non, je ne vais pas vous relater son histoire. C’est à ceux qui pendant tout ce temps ont été et continuent à être à leur côté, luttant pour la présentation des disparu(e)s, de le faire.

Nous allâmes lui parler. Ce fut une réunion privée avec elle et avec d’autres proches de disparu(e)s. C’est ainsi qu’elle le souhaita et que nous le souhaitâmes. Cela se passa dans son salon, où nous nous entassâmes à quinze ou vingt personnes.

Doña Concepción García de Corral était la plus âgée... Et la plus forte.

Comme si tout ce temps passé à chercher son fils, José de Jesús, ne l’avait pas épuisée. Comme si ne pas lâcher prise pouvait lui permettre de voir plus loin.

Les compas proches des disparu(e)s parlèrent, et ce qu’ils nous dirent fut en substance : « Nous voulons savoir la vérité. »

Doña Concepción alla plus loin : « Si Dieu m’a donné autant d’années de vie c’est parce que José de Jesús est en vie et que je vais le retrouver. »

Non, je ne me souviens pas si telles furent ses paroles exactes, mais je crois bien que ce fut le sentiment exprimé. Ensuite ce fut mon tour.

Je ne dis pas grand-chose...

Ou alors tout fut dit...

Je ne me souviens pas, mais il me semble que je leur ai dit ce que j’aimerais que l’on dise à mes proches dans des circonstances similaires : que nous n’étions pas partis parce que nous ne les aimions pas, mais au contraire parce que nous les aimons, bien que d’une autre façon, d’une autre manière.

Ne me prenez pas trop au sérieux, mais je crois que c’est à ce moment-là que j’embrassai Doña Concepción García de Corral et lui dis à l’oreille : « Mamá Corral ».

Ensuite je partis.

Je pars toujours.

À nouveau zones géographiques et programmes recommencèrent à nous emmener et à nous ramener. Mais grâce à elles et à eux nous l’avions connue, elle.

Il me semble même qu’une fois nous lui dédiâmes un texte. Il doit encore traîner quelque part, je pense.

Peut-être le lui a-t-on lu. Peut-être a-t-elle souri. Peut-être a-t-elle entendu que nous lui disions : « Nous sommes ici et nous n’oublions pas. »

Et il se trouve que j’étais en train d’écrire des contes parce que quelqu’un était malade et qu’il fallait bien lui donner quelque chose comme remède, quand bien même à distance.

Et en plus parce que j’ai tout un tas de lettres de protestation. Certaines proviennent de supposées sociétés médicales me reprenant au sujet de mes déclarations contre les piqûres, d’autres sont de petites mères en colère parce qu’elles se sont retrouvées avec une seringue tout prête et que la victime s’est refusée à subir la torture, prétextant un hypothétique point d’un hypothétique programme national de lutte, qui apparemment interdisait la production, le trafic et la consommation d’injections. Résultat, pour résumer les faits, on me rend responsable des plus terribles épidémies et endémies.

Mensonges que ces lettres de protestation. Mais j’ai les oreilles qui bourdonnent, ce qui, d’après ce que disait ma mère, signifie que l’on jase à mon sujet.

Alors moi, sous la pression de la Lupita et de la Toñita, je me suis mis au travail, dans mon laboratoire, pour produire une médecine alternative à celle des piqûres. Et c’est ainsi qu’est né le premier de ces Contes pour remplacer les piqûres.

Pendant que j’attendais la décision des commandantes pour savoir si elles allaient ou non organiser une rencontre sportive et culturelle le 8 mars, la nouvelle de la mort de Mamá Corral, arriva au petit matin.

Cette nouvelle venait dans une lettre signée par le Comité des mères de disparus politiques de Chihuahua, qui se terminait ainsi : « Sous-commandant Marcos, recevez toute notre reconnaissance et nos condoléances. Mamá Corral est partie, mais elle est encore, et avec plus de force, à vos côtés et aux nôtres. Recevez une forte accolade et notre bénédiction. »

J’eus mal. Très mal.

Plus tard je relus ces lignes et je pensai qu’en effet oui, elle est bien à nos côtés et de notre côté. C’est pourquoi, avec votre permission, j’ai fait quelques modifications au premier des « Contes pour remplacer les piqûres » et je l’ai conté à Mamá Corral, à Helena et à toutes les petites mères, avec la douleur à fleur de peau, tel que je vais maintenant vous le transcrire : Remède pour cœur meurtri Conte de l’autre petite feuille à lire sur le site CSPCL

SupMarcos.
Mexico, janvier 2009.

Traduit par Ana M. Diaz (Montpellier)
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