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Le guetteur mélancolique
Le guetteur mélancolique
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14 février 2009

La pompe à phynance

financeSurtout ne changez rien !
C’est le mode d’emploi de la bombe à hydrogène politique, il n’est nul besoin d’aller en chercher les composants chimiques dans un obscur recoin de l’internet, tous sont là, exposés sous nos yeux, il suffit de les observer et d’attendre leur précipité. Petite recette de chimie détonante : 1) la tragique désorientation des décideurs ; 2) la (remarquable) persévérance dans l’obscénité des hommes de la finance, même aux tréfonds de la déconfiture ; 3) l’état de rage qui gagne une part croissante de la population ; 4) la cécité, par atermoiement ou simple incapacité, de la quasi-totalité des médiateurs, gouvernants, partisans et syndicaux, incapables de saisir l’enjeu véritable de la situation, qui ne réclame pas le retrait d’une réforme, ou même d’une politique, mais une nouvelle donne d’une ampleur semblable à celle qui eut lieu au sortir de la deuxième guerre. [...]
Décideurs dans le brouillard
À ce qu’on dit, les dirigeants dirigent parce qu’ils sont d’une clairvoyance supérieure à la moyenne. Il y a, comme ça, des mythes en attente d’urgentes révisions. Car à tous les étages du pouvoir, politique comme financier, ce ne sont plus que désarroi et désorientation. La somme des revirements et des têtes-à-queues déguisés en corrections de trajectoire trahit un état de confusion stratégique qui, sans même interroger la légitimité des dirigeants à diriger, a de quoi donner quelques inquiétudes. [...]
Finance ; icebergs à bâbord, non à tribord, euh partout !
C’est très dommage que les gouvernements ne sachent pas trop où aller car, du côté de la finance, le moins qu’on puisse dire est qu’il ne faut pas attendre d’amélioration spontanée. La récession occupe le débat public à un point tel qu’elle avait presque fini par faire penser que la crise financière à proprement parler est derrière nous – il ne restait « plus qu’à » en digérer les dégâts. Or, loin qu’elle ait atteint les derniers degrés de la destruction, comme on pourrait croire, et qu’il n’y ait plus qu’à observer les ruines fumantes, la débâcle financière a encore en réserve quelques sérieuses descentes. Avec la régularité d’un horaire des chemins de fer, les convois de mauvaises dettes défilent les uns après les autres… et de manière non moins prévisible viennent s’écraser sur le butoir. [...]
Obscénité sans limite :
Ça pourrait être le nom d’une opération de l’US Army ; c’est juste l’état moral de la finance. De tous les ingrédients du désastre, il s’agit paradoxalement et du plus anecdotique et du plus explosif. Que la goinfrerie de la finance ne connaisse aucun frein pendant la déconfiture et que les bonus continuent de valser à milliards pendant l’aide publique est un non-événement du point de vue macroéconomique. Mais du point de vue politique, pardon ! Le fait est qu’avec la finance, 2009 commence en fanfare. [...]
Attention crise de rage :
C’est que dans l’opinion publique, les seuils critiques sont en vue. Deux décennies de décervelage et de promotion ininterrompue des valeurs de l’argent, sous la houlette de TF1 et de M6, n’auront pas suffi pour empêcher le corps social de voir rouge à pareil spectacle. Au soir de la manifestation du 29 janvier, BFM donne la parole à « un grand expert social », Bernard Brunhes. Comme M. Sarkozy, tous les sbires de l’UMP et la valetaille sondagière, M. Brunhes « a entendu » – mais quoi au juste ? Il a entendu « l’angoisse et les inquiétudes ». Mais M. Brunhes et tous ses semblables doivent être un peu durs d’oreille. Car bien plus encore qu’« angoissé », le corps social est en proie à une terrible colère – version socialiste, M. Fabius : « des mécontentements ». Non, non, non M. Fabius, les gens ne sont pas « mécontents » : ils sont fous de rage. La crise, à laquelle ils n’ont aucune part, est payée à leurs frais, les jette hors de leurs emplois, ou lamine leurs revenus, pendant que la banque continue de rouler carrosse et persévère dans une inoxydable arrogance qui forcerait presque l’admiration — il y faudra tout de même un certain recul du temps. Même le peuple le plus doux du monde sortirait de ses gonds à moins. [...]
Quelqu'un a une idée ?
Les dégâts de ce flot seront fonction de l’existence, ou non, d’un canal alternatif où le précipiter. Or, pour l’heure, aucun de ceux qui seraient en position d’en indiquer le tracé n’ont la moindre idée à ce sujet. On ne parlera même pas du gouvernement actuel, dont la fine analyse a conclu qu’il était urgent d’approfondir la configuration néolibérale du capitalisme (concurrence générale, restriction salariale sous couleur de compétitivité, allongement de la durée du travail)… qui a précisément engendré la catastrophe des subprimes. La chose nommée par habitude, ou plutôt par charité, « opposition », cherche en vain comment faire oublier le parfait à-propos historique qui l’a conduite à célébrer, par déclaration de principes interposée, le « marché », au moment où le capitalisme libéralisé partait en morceaux. Mais, sur la lancée de deux décennies de conviction profonde de la justesse du modèle présent, et s’étant par conséquent considérée dispensée depuis d’imaginer quoi que ce soit de nouveau, comment pourrait-elle avoir la moindre idée nouvelle ? [...]
Pour une nouvelle donne :
Il n’y a pas trente-six solutions pour sortir de cette redoutable impasse — en fait il n’y en a qu’une : mettre de la plus explicite manière une « nouvelle donne » à l’agenda politique. Mais l’idée d’une « nouvelle donne » ne peut rencontrer que des entendements préparés à l’analyse de la crise présente — pas ceux du gouvernement, ni du parti socialiste. Elle est pourtant de plus en plus facile à faire, à la condition évidemment d’être prêt aux mises en question que ces forces politiques se sont efforcées d’écarter avec autant de constance que de convergence. Mise en question de la libéralisation financière — opérée en France par le socialisme de gouvernement. Mise en question des formes de la concurrence, imposées via la construction européenne et défendues aux cris de « protectionnisme » et de « guerre » rendus synonymes puisque, selon une logique qui avait déjà servi avec l’Europe, c’est leur dernier argument : « le monde comme il est » ou bien « la guerre »… Or ce sont les deux contraintes, de la finance qui exige la rentabilité actionnariale, et de la concurrence qui veut la compétitivité-prix, qui ont écrasé les salaires et fait exploser les inégalités. De celles-ci la droite se moque ouvertement ; la « gauche » socialiste, elle, les déplore à chaudes larmes, mais sans rien vouloir changer aux causes qui les produisent. [...]

Frédéric Lordon, article à lire dans sa totalité sur Le Monde diplomatique

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Commentaires
I
"finance qui exige la rentabilité actionnariale, et de la concurrence qui veut la compétitivité-prix, qui ont écrasé les salaires et fait exploser les inégalités"<br /> <br /> C'est très juste, la volonté et le besoin de croissance effréné mène inévitablement à un éclatement un jour où l'autre.<br /> <br /> La croissance ne peut être infinie.<br /> <br /> Les salariés ont un role déterminant dans l'entreprise.<br /> <br /> Les récompenser à leur juste valeurs ne semble donc pas fantaisiste.
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